mardi, décembre 04, 2007

Suis-je zététique ?

"Et si j'étais zététique ?" se demande l'auteur de ce weblog le matin en se rasant délicatement entre les poils d'une barbe qui décidément devient de plus en plus salée. Et son mauvais esprit, reconnu par ses intimes, de le doter d'un sourire sceptique.

Beaucoup de prestidigitateurs défendent la zététique : leur plaisir à manipuler l'illusion ne les pousse pas à croire à la magie mais plutôt à instiller de la magie dans la réalité. Evidemment, le fonctionnement ou le mécanisme est toujours plus beau qu'une quelconque révélation. Cette loi souffre toutefois une exception : si l'un d'entre nous ose démonter et remonter un appareil électroménager, il va regretter l'absence d'un ange compatissant ou d'un saint miséricordieux lorsque, tout à coup, il se demandera d'où proviennent les quelques vis éparses qui entourent un objet bizarre, dont le dessin a dû germer dans l'esprit d'un extraterrestre dément, et qu'ensuite il se dira que non, décidément, son multihachoir à triple injection ne fonctionnera plus.

Si je vous parle de cela, c'est que j'ai lu dernièrement le Guide d'autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon, qu'un vent favorable est venu déposer depuis le Québec jusqu'aux rivages de l'un de mes librairies favorites où, comme d'habitude, à force de ne pas trouver ce que j'y cherchais, j'ai fini par découvrir ce que je n'avais même pas imaginé de chercher...

L'auteur esquisse un tableau assez convaincant des stratégies de base des manipulateurs, même si je m'étonne de lui voir attribuer tant de crédit à Noam Chomsky, le grand imprécateur américain, dont les diatribes me laissent perplexes : peut-être que voir relayées les caricatures de mes propres idées me pousse à une certaine méfiance ? A part cette nuance, qui concerne tout de même tout le chapitre des médias, je ne puis que vous conseiller la lecture de ce petit guide qui, outre sa clarté, choisit les chemins de la dérision pour aborder les travers de l'argumentation : vous en trouverez une version abrégée en cliquant sur le lien que voici.

Dans ce même mauvais esprit, nous avons mené une expérience avec mon collègue de physique : nous avons incité nos élèves de rhétorique à travailler sur les idées reçues en sciences, en partant d'articles du magazine La recherche de ce mois d'octobre. Les exposés étaient intéressants, certes, mais il y manquait fréquemment l'essentiel : la critique des préjugés, des informations et des sources. Nous voulions travailler avec les représentations mentales de chacun et esquisser l'approche d'une méthode scientifique critique : nos chers élèves n'ont pas trop osé remettre en cause l'autorité des informations qu'ils glanaient dans des références souvent très intéressantes. Cèderaient-ils encore à l'argument d'autorité ou au conformisme du groupe ? Ne supposent-ils pas être assez informés ?

Je déteste ce mot assez dans le champ de la réflexion : je ne le conçois que lors des activités physiques lorsque la raucité de mon souffle me rappelle mon excès pondéral et mes paquets de cigarettes quotidiens. Je perçois en ce mot autant la résignation de celui qui s'estime incapable de poursuivre ses investigations, faute de ressources, que la complaisance de qui n'estime pas nécessaire de chercher et se satisfait faussement d'avoir trouvé. Combien d'entre nous acceptent l'intérêt et la nécessité de la contradiction ? Bien peu sans doute.

Les discours pédagogiques ont trop souvent axé l'enseignement sur des compétences de base, sans se poser la question de leur signification évolutive et en restreignant, de fait, l'enseignement à peu de choses : le plus affligeant est de constater que les susdits discours assénaient à la fois une impossibilité de progresser, paradoxale en éducation, et une limitation de la responsabilité personnelle sur les champs de connaissance. Au nom de prétendus principes, la politique éducative abolissait ainsi les outils dont rêvait l'humanisme renaissant : la culture et le scepticisme. C'est une autre manière de réfuter l'indépendance des esprits, la cantonner à l'enclos d'un supposé bien commun, comme si dans notre pays et quelques autres nous ne disposions pas des moyens techniques d'assumer la curiosité de nos élèves...

Il est tellement plus facile de se satisfaire d'adhésions béates ou de critiques poujadistes : lorsque le roi est désespérément nu, ou lorsque les oranges sont bleues, pouvons-nous nous permettre d'exercer notre sens du doute ? En fait, nous le devons, en permanence.


mercredi, novembre 28, 2007

Ma chère Dame de craie...

Il est toujours difficile de saisir une plume virtuelle : plus que le point de départ, c'est la destinée fugitive de ces texticules, adressés au réseau comme autant de bouteilles à la mer, qui prête au rêve et au hasard. Il y a pas mal de temps que je ne me demande plus combien de gens me lisent : par contre, la lancinante question de l'intérêt que pourraient susciter mon personnage virtuel et ses réflexions sporadiques continue de me laisser perplexe.

Certes, cela doit m'arriver dans mon métier également et peut-être que, parfois, je ne laisse pas un souvenir si anodin que cela à l'un ou l'autre de mes élèves, mais j'avoue que je ne m'en étais guère préoccupé, parce qu'il me semble que leur propre personnalité prendra toujours le pas sur le modeste relais que j'aurai pu être. Et pourtant, un de mes relais à moi vient de disparaître.

Hormis un professeur de gréco-latine et son collègue de physique, je ne garde guère de souvenir de mes professeurs du secondaire : leur influence ne fut sans doute pas anodine mais je ne me sens guère tributaire à leur égard. S'ils m'ont transmis des connaissances, les deux autres m'ont légué leur curiosité et leur intérêt. De même, à l'université, j'estime devoir mon tribut à mon patron de mémoire, titulaire de la chaire de littérature belge, et à deux de ses collègues, un médiéviste, d'ailleurs télégénique, et un linguiste réputé. Là encore, les autres sombrent dans le maquis des anecdotes.

Seuls quelques collègues, malgré ma sociabilité naturelle, m'ont donné l'envie de poursuivre mon métier : l'un d'entre eux, Alain, est mort il y a quelques années ; l'autre, Edith, vient de décéder de ce qu'un abominable euphémisme nomme une longue et pénible maladie. Ils me manquent tous les deux, jusque dans leurs tics et leur manies ; les souvenirs restent intenses tant leur vie semblait prégnante, tant j'ai pu leur dérober ces parcelles de volontés, ces miettes de curiosité et cette profonde envie d'enseigner qui ont sans doute constitué le professeur que je suis devenu et qui, je l'espère, ne cessera jamais d'assumer la dignité de sa charge. Au fond, pour peu que nous puissions nous le rappeler, nous jetons nos petites bouteilles à l'avenir.

Mes lecteurs savent que je n'ai jamais sacralisé ni la mort ni le corps enseignant : pourtant, je n'admettrai jamais que quiconque remette en cause ces deux morts-là, comme je n'ai jamais admis que l'on touche au souvenir de mon père. Tous ceux qui m'ont forgé, de relais en relais, et qui poursuivent leur travail, souvent inconsciemment, je ne pourrai jamais les remercier par des mots : c'est le fil de ma vie de relais qui pourra, peut-être, leur rendre hommage, tant que je garderai la conscience de ce que je fais. Comme tous ceux qui m'ont transmis sans jamais réclamer le prix d'une quelconque dette, j'offre à qui veut en disposer ce que je peux donner.

Evidemment, les amateurs de modèles économiques ou de rentabilité concurrentielle, voire d'utilité, ne pourront jamais comprendre ce qui m'anime, à l'instar de mes proches collègues. Je ne le leur demande d'ailleurs pas : je n'ai pas besoin de leurs explications insignifiantes pour ne cesser de découvrir ce qui restera pour moi significatif dans ce cortège de ma mémoire, qui prend souvent la forme d'un ballet lumineux sous un soleil que rien ne vient éteindre, un cortège dont, pour une fois, l'individualiste que je suis accepte d'être un modeste participant.


samedi, novembre 03, 2007

A propos de Stephen Jay Gould


J'avoue que je reprends ce blog avec quelques difficultés : non que l'envie m'ait passé de lancer mes divagations comme autant de bouteilles à la mer, sans crainte qu'une mouette se les prenne au coin du bec, mais la lecture amène souvent le graphomane à plus de modestie.

Ainsi, je lisais récemment plusieurs ouvrages de Stephen Jay Gould : plus encore que de plonger dans des notions que je ne maîtrisais pas, mes cours de biologie s'étant arrêté du côté de la troisième année du secondaire, c'est le plaisir réel de concevoir la complexité des phénomènes évolutifs qui m'a enchanté. Monsieur Gould ne se comporte pas comme un de nos roquets médiatiques, qui étalent leurs simplifications abusives et leurs retournements de veste à longueur de bouquins savamment ficelés en fonction de l'événement que, faute de l'avoir précédé, ils suivent à juste laisse. Il n'est pas de ces commentateurs insipides dont le credo est le conformisme, cette dictature mercantile qui fait passer le stéréotype sans cesse rebattu pour une idée neuve parce que l'emballage a changé. Non, Stephen Jay Gould explique les phénomènes les plus complexes, les théories les plus savantes sans les affadir, du moins je le suppose, et nous pousse à envisager la réalité comme une construction et pas comme un ensemble d'apparitions.

Ainsi, c'est grâce à lui que j'ai découvert Rube Goldberg, humoriste dont un artiste s'est inspiré ci-dessus. Son principe à lui est de montrer que l'homme recherche une complexité excessive dans l'accomplissement des gestes quotidiens : ses machines déploient une inventivité et une énergie immense afin de réaliser ce qui devrait rester anodin, ici découper un morceau de fromage. Ce style d'humour nous rappelle aussi que, faute d'user de nos facultés de conceptualisation dans les champs de la réflexion, nous les utilisons pour nous empoisonner la vie. Pensons à tous ceux qui cherchent de vaines explications, ou des excuses, pour les troubles comportementaux toujours plus nombreux ; pensons au dévoiement des démocraties, traduites en termes simplistes de majorité, au détriment des droits fondamentaux ; pensons à la complexité des technologies mises en oeuvre pour apercevoir des élevages en batterie de chanteurs très approximatifs ou pour transmettre une information lors de la grand-messe du journal télévisé.

Nos modes de communication, basés sur une prétendue simplicité, nous ont fait croire que nous pouvions nous passer de la complexité : à force de nous donner une image inconséquente du monde, perçu comme un ensemble d'apparitions sans continuité, ils nous ont poussé à un égocentrisme ratiocinant. Nous nous sommes considérés comme les centres de l'univers parce que nous éprouvions la paresse de nous intéresser à cet univers même : nous négligeons ainsi l'histoire ou l'épistémologie par manque de curiosité. Et nous prétendons remplacer cette absence de curiosité par le reflet aimable ou compassionnel que nous offrent les obédiences religieuses, les soumissions idéologiques ou les auto-flagellations psychanalytiques à bon marché.
Nous avons ainsi oublié, au nom de cet extrême relativisme, d'échanger des idées, puisque toutes seraient d'égale valeur : et nous nous retrouvons à vouloir échanger des personnalités, avec la nécessité d'en simplifier la réalité de fonctionnement puisque nous n'en tirons que des généralisations abusives propres à nous permettre le conformisme.

Je persiste à préférer les problèmes complexes aux solutions faussement simples mais je me refuserai toujours à construire ma vie relationnelle autour de faux obstacles qu'une quelconque main secourable lèverait à ma place : je maintiens mon indépendance de jugement sur tout ce que la culture me permet de m'approprier.

jeudi, novembre 01, 2007

Le grand silence

Ubu postera-t-il avant la fin de cette année ? A-t-il conçu un nouveau concept, le message annuel ? Passera-t-il l'automne ? Aurait-il été victime d'une extinction de doigts ?

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lundi, septembre 10, 2007

C'est vraiment la rentrée ?


Il me faut toujours attendre quelques jours pour supposer que ma rentrée des classes soit effective. Ce n'est pas que les élèves se pointent franchement en retard dans ma classe ou à l'école, même si cela arrive trop souvent à mon goût, mais il faut toujours achever l'année qui précède : c'est d'ailleurs un véritable paradoxe pour le jeune enseignant qui débute que d'avoir, en guise de premier contact, à juger des résultats d'élèves qu'il aura seulement entrevus.

Les secondes sessions génèrent souvent leurs lots de surprises : j'ai eu mon compte de déceptions, au vu du massacre qui s'est opéré dans la classe dont j'avais pourtant le plaisir d'être titulaire. J'espère que les jeunes gens qui ont trop peu ou peut-être mal étudié auront la bonne idée de se concentrer sur leur choix d'avenir : une autre manière de cesser de perdre du temps en arguties et chicanes sur ce qui a bien pu se produire pendant ces fichus examens. Même si je peux concevoir les difficultés d'une vie d'adolescent, je ne peux que conseiller à mes têtes blondes de s'accommoder des règles de notre petit jeu : peut-être qu'un jour ils se rendront compte que rien n'aura été plus explicite et, en fait, neutre que notre jugement sur leur année scolaire. Peut-être aussi finiront-ils par apprécier que nous ne leur cherchions pas de fausses excuses : c'est une manière de les considérer comme des individus et pas comme de pauvres victimes du sort.

En attendant, il aura fallu beaucoup expliquer nos décisions, ne fût-ce que pour leur permettre d'encaisser leurs résultats finaux : il aura fallu aussi pas mal se répéter, puisque nous nous retrouvons contraints de quitter le terrain pédagogique pour nous lancer dans de grandes envolées lyrico-administratives qui exposent les procédures de recours inventées par l'esprit malade de Tata Laurette. Notons d'ailleurs que les décisions de ces conseils de recours sont notifiées mais jamais motivées, ce qui me semble aussi frustrant pour l'élève que pour le professeur.

Aux déçus comme aux enthousiastes, je souhaite une bonne année scolaire dont nous tournerons les pages avec le plaisir de nos découvertes, l'ennui passager de chapitres abscons ou le soupir mêlé de nostalgie qui s'exhalera inévitablement au moment du dénouement.



jeudi, août 23, 2007

Mon Bébert


Mon Bébert,

J'apprends que tu as encore été victime d'un vilain qui a osé te railler : un musicien qui voulait faire de la satire au pays de l'opérette, là où seule la futilité de l'apparat s'affiche avec sérieux.

C'est vrai, mon Bébert, le monde est méchant : la presse qui n'est pas inféodée est méchante, le hasard des dessins d'enfants est méchant, l'histoire même est méchante. Tu rêvais d'un royaume au Paradis : te voici dans une principauté crapoteuse, artificielle comme une carte postale et sujette à moqueries.

Il est vrai qu'un satiriste encore davantage mal intentionné aurait pu glousser sur ton armée de soldats de plombs, sur ta police omniprésente, sur les opérations financières douteuses qui passent par Monaco, cet asile des mal-aimés des satiristes du monde entier. On ne rit pas des petites misères des illustres : que ces gueux se le tiennent pour dit. Et on ne caricature pas une famille qui n'a besoin de personne pour sombrer dans le ridicule : malgré leurs fautes de goût, on n'injurie pas ses fournisseurs en pitreries, vocalises idiotes et scandales de pacotille.

Enfin, si je peux t'écrire tout ceci, Mon Bébert, c'est parce que j'ai le bonheur de ne pas être monégasque et de vivre dans un pays où le ridicule ne tue plus : il paraît d'ailleurs que c'était la seule condition de survie de notre classe politique et dirigeante locale. Grâce à ton goût de l'opérette, je peux toujours continuer à adorer mon petit cirque local.

Je t'adresse mes compliments pour ton attitude : elle me rappelle qu'il est préférable d'être simplement un homme plutôt que de se prendre pour un prince.

Royalement tienne,

Ubu Premier



mercredi, août 22, 2007

Wampas Chirac en prison

Une petite vidéo (prémonitoire ?) pour fêter l'arrivée du Chi dans mes liens.
La version audio se trouve dans la boîte à musique.

Je n'ai malheureusement pas trouvé d'équivalent pour le nouveau président de nos amis français : à vous d'aller faire un petit tour sur cet excellent site satirique consacré au nouveau Napoléon-le-Petit.

Les disparitions.

Est-ce la fin de l'été, aux allures automnales, qui me pousse à faire un ménage de printemps dans mes liens ? Je n'aime pas me séparer de mes liens , surtout lorsque les auteurs de ces blogs abandonnés ou, pire, effacés, ne donnent plus de leurs nouvelles. Certes, les uns évoquent leurs raisons de leur départ tandis que les autres laissent planer le mystère, ou redouter le pire. Mais j'avoue que leurs pages oubliées me filent un sérieux coup de blues : je n'aime pas les disparitions dans mon alphabet intime.

Le plaisir de consulter leurs articles ou leur photos, je dois le conjuguer au passé. Tout ce qui m'émerveillait dans les photos de JLC s'est estompé dans les paysages virtuels de la mémoire. Les articles brefs et les illustrations de rêve de Maugus me revoyaient à la nostalgie de la clarté, alors que tant de blogueurs se gémissent dessus. Les coups de gueule, de grande classe, d'µbiquitous me laissaient pantois tandis que les chroniques acerbes d'Hariane me réjouissaient.

Avant de leur adresser mes adieux virtuels, je désire les remercier de tous les instants de plaisir qu'ils ont réussi à me procurer.

Et je ne souhaite des retrouvailles, tôt ou tard.

mardi, août 21, 2007

Le résumé

Les vacances commencent à s'estomper et l'insulaire libre que je prétends essayer de rester lorsque je me déconnecte de toute réalité va devoir bientôt revenir à l'assaut de tout ce qui l'exaspère.

Frère lecteur, tu peux considérer que j'ai mauvais caractère : c'est une caractéristique qui m'est communément reprochée, tout comme une certaine assimilation aux plantigrades en mal d'hibernation ou d'estivation, c'est selon. Cette dernière comparaison m'inquiète d'ailleurs, puisque les ours semblent être dans la ligne de mire du crétin viandard (pléonasme !) dont la vue a trop baissé pour encore dégommer la tourterelle.

Mais tout ceci n'explique pas l'illustration de Giger qui trône au-dessus de cet article. Ceci ne surprendra pas mes fidèles lecteurs qui, avec le temps, se sont habitués à mes fulgurantes digressions en un style abscons qui n'est pas sans rappeler le pilier de cabaret qui se prend pour la tour de Pise ou la logorrhée de l'ivrogne en pleine extase éthylique. Il me faut pourtant les rassurer, ainsi que celui qui au gré de la recherche d'un article intelligent aurait eu la malchance de tomber sur ce blog : je suis toujours autant moi-même, c'est-à-dire n'importe qui.

J'ignore s'il me sera encore possible de le rester dans notre époque qui se glorifie des étiquettes. C'est un peu comme si notre univers, appréhendé par les médias davantage que par le contact réel et profond, se glorifiait de ses résumés d'individu. Déjà, en leur temps, les théories d'organisation scientifique du travail glorifiaient l'homme-outil et rejoignaient les doctrines totalitaires dans leur utopie cauchemardesque d'un homme parfait. Et le glissement se faisait ainsi du travail, service collectif organisé selon le fordisme, le taylorisme ou encore le toyotisme, à la vie privée, soumise aux ordres d'un pouvoir central.

L'assentiment de la majorité était acquis - il faudrait d'ailleurs une autre chronique pour expliquer à quel point l'association d'individus d'intelligence moyenne engendre une majorité conne comme ses pieds - sans gros problème, au nom d'un prétendu bonheur collectif. Ne manquait qu'un consentement explicite et exemplaire ainsi que des victimes expiatoires qui donnent à leur sacrifice des allures de dévouements, tant elles collent au cynisme dévoyé d'une époque qui balance entre la mièvrerie apitoyée et l'admiration de la force, pour autant que cette dernière soit cantonnée au divertissement d'une émission de télé-réalité quelconque.

Ainsi, les ménagères de moins de cinquante ans ou les panels médiatiques se donnent une illusion d'activité alors qu'ils ne sont que fonctionnels. Ainsi, les manipulateurs à la petite semaine exhalent leurs attitudes nauséabondes en se prétendant les maîtres du jeu alors qu'ils ne sont que les dupes d'un miroir aux alouettes. Ainsi, le monde médiatique met-il en scène un univers factice, rassurant, tout en jouant sur un sentiment de peur sans cesse ressassé. Et le cours du téléspectateur de se voir canalisé entre divertissements glauques et faits divers tragiques : de déformation en déformation, nous en sommes parvenus à l'abrutissement de celui qui croit savoir parce qu'il confond le reflet lumineux de sa lucarne et la réalité contradictoire, nuancée de zones d'ombre.

Un résumé dénature toujours le texte dont il s'inspire : il ne peut en traduire la substance car il vise à la rapidité par la schématisation. Ceci explique d'ailleurs qu'il soit impossible de réellement résumer une oeuvre littéraire, à moins de dire plaisamment comme Woody Allen que Guerre et paix, ça parle de la Russie. Pourtant, notre époque prétend nous résumer, sous diverses étiquettes, et refuse notre complexité de même que la complexité de nos associations : elle prétend nous modeler selon ce dont elle éprouve le besoin. Et nous qui pensions vivre en un temps civilisé, nous cédons à cet asservissement de nos peurs, de nos haines, de nos angoisses, que nous espérons voir aseptisées parce que des professionnels de l'imposture nous les expriment de manière confortable.

Je rêverais presque d'être fou.

mercredi, août 08, 2007

Retour de saison


Ma période d'estivation serait-elle achevée ? Je n'en suis pas si sûr mais, comme les illusions finissent par se montrer plus crédibles qu'une quelconque réalité, je ferai semblant d'être revenu, avec la même incertitude que le soleil ci-dessus.

Certes, je n'étais pas très loin : je n'étais même pas dans un endroit insolite, perché en équilibre sur une accueillante falaise opportunément reléguée loin des catalogues touristiques. De même, je n'étais pas occupé à inventer quelque gadget génial ou à m'emberlificoter les neurones face à quelque panneau incongru. Non, j'étais simplement occupé à ne rien faire, si ce n'est à happer l'un ou l'autre film que la télé estivale consentait à diffuser, à bouquiner mollement étendu ou à me perdre dans les vertus curatives d'un silence relatif, entre autoroute et industrie métallurgique. Bref, je m'occupais à ne rien faire, ce que je réalise le mieux.

Évidemment, il m'est arrivé de suivre l'actualité, avec le même détachement qu'engendraient les prévisions météorologiques chez le pauvre juillettiste qui se demande s'il n'aurait pas dû choisir le doux mois d'août pour écouter zinzinuler les gentes demoiselles. J'ai donc pu apprécier à se juste mesure les efforts lyriques de notre formateur national qui, selon mes propres goûts, aurait peut-être dû oser se lancer en une version éthylique du Petit vin blanc ou de La digue du cul, tant les plaisirs capiteux me semblent davantage appropriés aux pays paisibles que ces marches militaires qui me donnent une seule envie : courir à toutes jambes du côté opposé au front. Franchement, est-ce vraiment décent de m'obliger à montrer mes fesses à un quelconque belligérant qui d'ailleurs me dépasserait allègrement, puisque mes performances sportives et notre réseau autoroutier l'y aideraient.

Dans la série de mes petites futilités, j'ai adoré ce Tour de France qui prenait les allures d'un roman policier, même si les répétitions de ce nouveau feuilleton de l'été le rendaient peu crédible. De même, j'ai beaucoup apprécié les menuets politiques face aux bonnes oeuvres de l'Office des étrangers : nos politiciens en goguette semblaient découvrir le sort des mineurs internés en centre fermé. Certains de nos petits comiques se sont même drapés dans la stricte application de la loi, en oubliant la condamnation internationale de celle-ci et leur responsabilité dans le contrôle d'un organisme qui déraille.

Bref, rien de neuf mais ce n'était pas une raison de me priver du plaisir de vous retrouver.





mardi, juin 26, 2007

Quelques travaux pour l'été...

Me voici de retour : enfin, presque. Après avoir corrigé les travaux de mes élèves, leurs fautes et leurs erreurs, après avoir procédé aux délibérations d'usage, il me reste deux échéances : la cérémonie de remise de prix en rhétorique, dès demain, et la remise des bulletins à la classe dont je suis titulaire. Évidemment, nous n'aurons pas évité quelques grincements et quelques réelles déceptions : et comme les résultats n'étaient guère enthousiasmants, cette année, les déceptions furent aussi celles des professeurs. J'avoue que je ne m'habitue pas à certains redoublements : le gâchis me déplaît, surtout lorsqu'il était réellement évitable. Mais je ne vais pas vous sortir mes états d'âme du professeur avant la remise des bulletins : au fond, ils n'intéressent que moi.

Par contre, je me suis amusé avec les gadgets que j'ai réussi à installer sur ce blog. Le premier, Box.net, me permet d'enfin vous donner accès facilement à quelques morceaux de musique (dont un que j'espère prémonitoire) que j'aurai sélectionnés et chargés moi-même. Si mes derniers choix ne vous plaisent pas, vous pouvez toujours aller du côté de radio Ubu, en bas de page, ou passer sur Radioblog mais mon nouvel outil me semble plus léger et maniable.

L'autre gadget est simplement génial : Snap Shots permet de prévisualiser les pages auxquelles renvoient mes liens . Au fond, c'est une sorte de variation de la zappette adaptée à Internet. Bref, les surprises deviendront un peu moins étonnantes pour vous mais que ne ferais-je pas pour mes (nombreux ?) lecteurs fidèles ?

Ensuite, il me faudra actualiser mes liens, entre nouveautés intéressantes et disparitions regrettables, et écrire l'un ou l'autre texticule jusqu'à ce que je trouve enfin quelque chose à dire. Et après ces quelques nouveaux travaux, il me faudra retourner plus sérieusement à mes lectures, sur le réseau ou dans mes bouquins.

Au fait, qui avait parlé de vacances ?

jeudi, juin 07, 2007

le foulard et la manière : fin.

Passons à la pratique, maintenant.

L'école peut faire peur : aux parents, surtout lorsqu'eux-mêmes pratiquent peu la langue d'enseignement et se retrouvent en situation de hiatus culturel ; aux élèves quand le dialogue est inexistant ou se résume à des confrontations permanentes avec les autres élèves ou avec les enseignants ; aux enseignants, lorsque le système déraille ou lorsque les élèves ont décidé de ne plus assumer cette fonction. Mais faut-il pour autant sanctuariser un établissement scolaire à tous niveaux ?

Je n'en suis pas convaincu. S'il me semble nécessaire, comme prof, de prémunir autant que possible un établissement de la violence, par exemple, ou des incursions prosélytes, il ne me semble pas opportun de rejeter a priori un code vestimentaire, quels qu'en soient les motivations : une école qui s'affirme ne peut vivre repliée sur elle-même. Et un respect mutuel peut s'instituer si les élèves acceptent de concéder, c'est-à-dire de discuter de ce qui serait extrême, pour marquer leur acceptation et si les professeurs acceptent de concevoir leurs élèves sans s'attarder sur ce qui reste périphérique.

On peut concevoir une école sans training, sans casquette (références obligent !) et sans prison de toile : c'est rappeler à l'intelligence de la situation. Par contre, interdire ce qui pourrait sembler constitutif de sa personnalité, pour l'élève, pose un réel problème. Le vêtement a toujours été une tentative d'appropriation de sa personnalité sociale : rejeter signifie porter un jugement. Encore faut-il le fonder sur des motifs légitimes, liés à une situation évaluée avec pragmatisme, et ne pas se référer à une doctrine, puisqu'on n'éduque pas à coups de doctrines.

C'est sans doute là ce qui me dérange le plus, dans cette querelle épisodique du foulard à l'école. C'est certainement un problème mais défini souvent de la plus pitoyable des manières puisqu'il est rarement fait place à l'éducation dans ces querelles. L'éducation est une double triangulation : nous l'avons conçue à l'intersection de l'élève, de l'école et des parents et à la croisée de l'acceptation, de la contestation et de l'expérience. Interdire un code vestimentaire, c'est nier l'existence d'un ou deux partenaires de l'éducation : osera-t-on alors encore se plaindre de l'absence des parents, du décrochage scolaire des élèves dans un établissement où le dialogue n'est plus envisagé ? Par ailleurs, comment assister une quelconque construction personnelle si l'on exclut l'élève du champ de l'expérience et qu'on le place dans la situation de se soumettre ou de partir ? Ce n'est plus de l'enseignement, ceci ressemble à "La doctrine enseignée à ma fille" que véhiculent certains ouvrages douteux : et l'on ne parle plus d'éducation mais de camps en présence, comme si une école avait besoin de relayer et de cristalliser des conflits qui lui sont externes.

Par ailleurs, au nom de quelle déontologie irais-je juger de l'intimité de mes élèves ? Ils peuvent être homos, hétéros, cathos, écolos, socialos, libéraux, religieux, athées, agnostiques, musulmans, juifs, orthodoxes, bouddhistes ou ce qu'ils veulent : je n'ai pas à les déterminer parce que je ne vivrai pas leur vie. Je peux juste espérer qu'ils auront une personnalité équilibrée qui leur évitera les tentations extrémistes. Je peux juste espérer qu'ils auront pu savourer mes petits cours littéraires et mes petites approches philosophiques, qu'ils accorderont à ceux qu'ils croiseront les mêmes libertés dont ils auront disposé, qu'ils seront contents d'être ce qu'ils sont. Leur personnalité sera de toutes façons ce qu'ils en feront : ma sympathie leur est déjà acquise s'ils savent ce qu'ils choisissent et je revendiquerai toujours la liberté de ce choix-là.

Je suis fier d'être enseignant parce que je suis fier de mes élèves : ce sont des individus. Je refuserai toujours le climat de honte que certains désirent leur imposer, que ce soit au nom de leur extrémisme religieux ou de leurs convictions. Je n'ai pas le temps de m'occuper de ces professionnels de la peur, de ces concepteurs de paranoïas de supermarché : j'ai école.

Le foulard et la manière : suite.


Je suis plutôt athée : ce n'est pas contagieux. Pour diverses raisons, qui me sont propres, je ne crois pas en grand-chose et l'idée d'une religion constituée me file des boutons. J'en suis même venu à me méfier de tout ce qui évoque le rite, qu'il se réfère à une transcendance ou pas. Les baptêmes laïques me font autant pisser de rire que les évangélistes, l'ésotérisme me gonfle autant que les textes dits sacrés, les esprits sectaires m'horripilent qu'ils soient en cercle, en procession ou en quinconce. J'ai sans doute mauvais caractère mais je ne représente que moi : je ne suis capable de fonctionner en collectivité que lorsque je respecte des individus.

Dans mon métier, justement, je me retrouve face (ou à côté, selon que la taille de la classe m'autorise des déplacements ou pas !) à des individus : même adolescents, ils pensent et vivent toutes leurs contradictions. Les influences dont ils sont tributaires peuvent être plus ou moins prégnantes, il leur faudra tout de même s'assumer, c'est-à-dire affirmer la responsabilité de leurs principes, de leurs convictions, de leurs envies personnelles. Et moi dans cette histoire ? J'assumerai aussi mes responsabilités de professeur, à savoir d'accompagnateur de cette évolution personnelle en rappelant quelque balises, quelques règles nécessaires à la vie en collectivité. Des balises, et non des normes, puisque les normes ne garantissent que l'ordre tandis que les balises peuvent permettre une instabilité nécessaire à un épanouissement personnel, avec un risque calculé de dérive.

Un adolescent ne s'éduque pas à coups d'interdits ou de prescrits : d'ailleurs, un adolescent s'est-il jamais éduqué ainsi ? Être le fruit exclusivement d'obligations, ce n'est jamais être soi-même. Nous sommes un mélange de ce que nous avons intériorisé : nos expériences, nos contestations, nos acceptations restent des réactions partielles et devront avoir collaboré pour nous permettre d'aboutir à ces situations d'équilibre qui, si fragiles soient-elles, sont significatives des personnalités les plus affirmées. Ma conception de mon métier implique donc que je doive gérer, lors de mon métier, ces trois attitudes.

Les expériences, ce sont autant les situations d'apprentissage que les connaissances mises à disposition qui les constituent. Pas de construction de soi sans acquis, sensibles ou intellectuels : l'enjeu du savoir, c'est qu'il est mis à disposition et éventuellement intériorisé jusqu'à être connecté à la vie réelle. Les contestations nous sont nécessaires aussi : tout accepter consisterait à ne plus réfléchir à rien ; tout contester de même . Et puis, contester une idée , c'est déjà l'intérioriser et , pour peu que l'honnêteté nous guide, évaluer autant la référence que l'on refuse que notre personnalité, souvent incohérente, qui la refuse. L'enjeu de la contestation revient à poser nos limites : j'apprécie aussi ce genre de relation quand il n'est pas soumis à l'équivoque ou au malentendu. Enfin, l'acceptation me semble préférable à la soumission : accepter, c'est réfléchir à ce qu'on abandonne dans une logique du contrat. C'est donc également pouvoir évaluer des concessions qui prennent en compte une morale collective, sans préjuger d'une modification des convictions ou des principes. La soumission, elle, n'éduque en rien : elle produit des moutons ou des frustrés, ce qui ne favorise aucune construction personnelle.

En fait, cette triple pratique devraient permettre d'agir et de réagir en société. Evidemment, ce n'est pas un modèle simple : mais qui a dit que la complexité n'était pas le plus joli chemin entre deux points ? Et puis, réfléchir en termes simples équivaudrait à résumer l'individu, à l'enfermer dans un canevas qui ne pourrait jamais être son histoire son personnelle dan le seul but de nous assurer un confort intellectuel très factice.


Le foulard et la manière


Je ne vais pas revenir sur l'annonce de l'interdiction du foulard à l'athénée Andrée Thomas : Mehmet Koksal a déjà réalisé un ensemble de reportages sur ce sujet et plusieurs de ses commentateurs ont fourni leurs réflexions. D'autres se sont tellement emmêlés les pinceaux dans des règlements de compte assez vains que l'on est presque heureux qu'ils n'aient pas eu à parler du sari ou du boubou. Je ne reviendrai pas non plus sur la pétition un peu niaise qui circule sur le net : préconiser une interdiction de signes d'appartenance religieuse aux usagers d'un service public me semble un étrange conception des choses dans un état qui, tout au plus, dispose de textes sur la neutralité des services publics tout en participant à l'un ou l'autre Te deum officiel, corps constitués à l'appui. Je note simplement que le texte n'est arrivé sur mon mail que par l'intermédiaire de quelqu'un qui me connaît assez peu : et même si des copains ont déjà signé (on en causera !), je ne signe, personnellement, jamais des textes imbéciles, sauf les miens.

Non, je ne vais pas revenir sur toutes ces affirmations ou les principes qui prétendent les soutenir. Je vais plutôt rappeler mes positions personnelles sur ce sujet. Un pluriel bien singulier ? Et pour cause : mon opinion a varié au cours du temps. Montaigne aurait évoqué la suspension du jugement : j'ai, pour ma part, dû le dépendre à un moment parce qu'il fallait choisir une manière d'exercer mon boulot et me construire une déontologie. Et puis, je ne suis tout de même pas anarchiste au point de ne plus me rendre de compte à moi-même.

Il y a quelques années, je débarquai du Hainaut pour entrer en fonction dans un athénée de la Communauté française situé dans l'une des riantes communes de Bruxelles. Lors de mon premier jour, je ne disposais que de quelques informations éparses qui, en résumé, me présentaient cet établissement comme la moins pénible des écoles difficiles. Bref, je passe sur le premier contact, la distorsion entre mon physique méditerranéen (on me crut libanais ou brésilien : pourquoi pas suédois ?) et mon nom, et les premières pérégrinations entre les multiples implantations de l'école. Premières classes : élèves sympathiques ou pas, selon la date du retour de vacances mais pratiquement tous aussi "basanés" que moi. Et puis l'objet de toutes les ires actuelles ou des crises ponctuelles qui secouent l'un ou l'autre établissement. Plusieurs élèves portaient le foulard ou le voile : un choc culturel pour moi qui venais d'une école où le cours de religion musulmane n'existait pas et qui avait fait mes études dans une bonne école catholique. Quelques grincements plus tard, à force d'huile de coude et de bonne volonté, on finit par retrouver ses réflexes professionnels : et le prof ressurgit, qui se trouve face à des classes et non face à des groupuscules délocalisés de quelque internationale terroriste, même si certaines de mes demoiselles me semblaient habillées en "ninjas", selon le mot plaisant d'un autre élève. Ceci se passait avant un certain 11 septembre.

Il y avait déjà certains collègues, toujours bien présents, et d'autres qui sont partis ici ou là. Il y avait ce règlement spécifique à une implantation, qui interdisait le foulard, vestige de l'époque communale de cette partie de l'établissement : ce règlement existe toujours et me dérange toujours autant, d'ailleurs. Et puis, il y a eu tous ces petits événements qui font que l'on s'attache à une école : des cérémonies en hommage à des défunts, des fêtes, des excursions épiques, des personnalités attachantes, des engueulades, des malentendus, des tensions, des bamboches. Bref, pas le temps de s'ennuyer.

Il y eut aussi quelques affrontements plus désagréables avec un noyau d'élèves qui désiraient instituer un "ordre moral" alors qu'eux-mêmes ne cessaient de mentir et de s'avérer bien piètres écoliers. Un dessin, mal réalisé, où un charmant bambin songeait à des moyens de me tuer, sans songer toutefois à avoir recours à sa bande, extérieure à l'école : je me fis un plaisir de le lui rendre, en lui rappelant qu'une telle réalisation méritait signature. Et quelques exclusions pour faits disciplinaires ou pour prosélytisme réitéré. En même temps, il y eut aussi le soutien de tous les autres élèves, qui n'aimaient pas ces intégristes, qui n'aimaient pas cet ordre moral venant de médiocres personnages, qui n'aimaient pas ce comportement de voyous : ceci nous confirmant dans notre attitude. Je n'ai revu aucun des quatre élèves concernés et je ne m'en porte pas plus mal...

Et peu à peu, nous en sommes arrivés à fonctionner comme une véritable école, c'est-à-dire à songer davantage en termes pédagogiques qu'en mesures disciplinaires. Notre problème n'a jamais résidé dans une sorte de croisade mystico-religieuse mais bien dans un potentiel de violence de nos "mauvaises" têtes. Et puis la violence s'est muée en turbulence, en comportement, en attitude : jusqu'à en arriver à la possibilité de sortir avec les classes et de recevoir les félicitations de l'un ou l'autre guide pour le tenue de nos élèves. Ce qui n'empêche pas, de temps à autre, une crise ponctuelle et de nécessaires mises au point.

Je ne décris pas ici une histoire idyllique mais simplement un résumé de mes impressions de prof dans cette école difficile où j'ai toujours envie de poursuivre mon métier. C'est sans doute cet ensemble qui m'a confirmé dans mes plus récentes positions.

Il me reste donc à les développer en elles-mêmes.

dimanche, mai 20, 2007

Joli moi de mai ?

Elle est étrange, ces manies de multiplier les causes uniques. Je ne vais pas viser le seul Naboléon, qui me donnera sans doute l'occasion de me gausser de ses initiatives d'Hercule de foire aux petits bras et de bateleur du Trône, la foire itou. Pour une fois, je vais prendre le risque de me fâcher avec tout le monde.

Naboléon, alias le nouveau Badinguet, accusait Mai 68 de tous les maux lors de sa campagne : c'était loin d'être une originalité puisque Luc Ferry, ce ministre de l'éducation que vous n'avez peut-être pas eu le temps de voir passer, avait commis un ouvrage qui prétendait, beaucoup, épuiser le sujet. Retour de bâton de l'histoire : c'est Ferry le pompier qui semble bien piteux face à un Philippe Sollers en forme, dans un récent débat lors de l'émission Esprits libres.

Le plus étonnant ne fut sans doute pas que Ferry ait été lamentable : ses "écrits" geignards nous y avaient habitué. Mais que Sollers puisse encore flamboyer, diantre ! Sans doute parce que ce joli mois de mai là, contrairement à ceux qui se sont succédés depuis, est devenu un mythe : au moins pour la droite française contemporaine. Vais-je glousser sur la peur panique qui saisit les élites face à un mouvement qu'elles n'ont toujours pas pigé ? Ben tiens, je vais me gêner.

En fait, les grandes trouilles me font rire, surtout lorsque l'un ou l'autre Joseph Prudhomme s'essaie à les expliquer. Aux difficultés qui doivent bien avoir leurs raisons, le béat candidat préfère développer devant ses béats militants des causes simples, tant le militant doit avoir le képi tout près du front puisqu'on lui demande surtout d'être discipliné. Et notre Madame Irma de vociférer contre Mai 68, les immigrés, la racaille ou les pannes de Karcher - qui me rappelle ma très grand ignorance de certains caractères spéciaux, d'ailleurs - tandis que ses concurrentes trouvent d'autres chats à fouetter.

Non, je ne crois pas aux causes uniques, pas plus que je ne me fierais aux valeurs uniques de ceux qui exigent l'ordre alors qu'eux-mêmes pondent des lois au détriment de leur application, de ceux qui exigent un climat de terreur pour mener leur contestation, fût-elle fondée, ou de ceux qui pressent le doigt sur la couture du pantalon parce qu'ils se méfient du lyrisme de leurs mains.

Non, je n'aime pas les parvenus berlusconiens ou socialistes carolos, les paranoïaques qui se la jouent "Cité de la peur" pour se sentir moins nuls, les abonnés aux grands complots qui tripotent leurs vidéos du Pentagone ou leur codex davinciens comme d'autres le firent d'un certain Protocole, les hérauts de l'intelligence qui ressassent des bêtises et des clichés à faire ricaner Flaubert, les vraies gens avec leurs vrais problèmes dans de vraies émissions où le seul principe reste de s'interroger sur la qualité de la prothèse dentaire du vrai animateur-vedette, et puis tous ces candidats qui me parleront les yeux dans les yeux avant de s'adresser, une fois élus le 10 juin, à une certaine partie de mon anatomie que l'âge semble rendre chaque année plus chatouilleuse.

Ne vous inquiétez pas trop, il y a aussi ceux que j'aime bien ou même beaucoup : mais vous ne voudriez tout de même pas que j'embrasse mon écran, non ?





samedi, mai 19, 2007

The longue gousse d'ail...

Je la vis arriver : elle était à rêver mais je ne la connaissais ni des lèvres ni des dents, à mon grand désarroi. Elle bombait tellement le Corse qu'elle semblait issue de la cuisine de Jupiter et les îles de Beauté se déployaient sur sa poitrine flambante. Des quenelles intestines l'avaient éloignée de son frère, un vrai bouc en train, ingénieur à Grenoble. Et fière comme d'Artagnan, elle avait coupé les ponts. Elle le regrettait maintenant : ses souvenirs la hantaient lorsqu'elle tirait ses bas, comme si elle dévidait un bas de laine de Proust, vieux comme mes robes. Je signai un contrat en bonnet difforme.

Dans ma ford intérieure, je cherchais le poteau rose : cette mission, ce serait vraiment la croix et la baleinière de la mener à bien. Son frère était connu comme le houblon : à tire-l'abricot, les informations fusaient. Je disposai bientôt de témoignages en quantité gastronomiques. Mais un seul me retint la tension.

Une brave dame, avertie de mon enquête, me fila un rendez-vous. Je me rendis chez la lady, de Nantes, et sonnai. Une explosion me répondit, suivie de cris d'orfèvre. J'entrai dans ce qui restait de la maison. Mon témoin ne s'en était pas sorti idem: elle était suspendue au dessus de moi dans un trou du plancher, et le corps de son chien en laisse flottait dans l'air. Je voyais ainsi les pieds de la dame au clebs qui me surplombaient. Je ne pus m'empêcherde rire à gorge d'employé avant d'aider, en bon sana ricain, la brave dame à s'extraire de son pète-reins.

Les informations qu'elle me livra transformaient mon enquête en tonneau d'Adélaïde : un bien joli prénom. Tout partait à vélo, je repris donc ma voiture et me rendis chez ma cliente pour lui signifier mon échec.

Des cours de français correct s'imposaient.






mercredi, mai 16, 2007

Soupe à la grimace...


En bref, il s'agit de s'amuser malgré tout.

Je n'en suis pas encore au stade de Diogène, qui invitait fermement Alexandre le Grand à se tailler de son soleil parce qu'aucun homme ne devait se permettre de tacheter son bronzage : il est vrai qu'à l'époque les cyniques n'étaient pas des crétins dont la prédominance les amène à exhiber leurs pensées honteuses en vociférations suraiguës parce qu'une remontée d'organes, aouch, ça fait mal.

Je n'en viendrai pas plus à me soucier sérieusement de l'étranglement de Bruxelles, que certains veulent cultiver et d'autres élargir , tandis que d'autres encore l'avaient réduite à un magasin des curiosités : Bruxelles est donc un morceau de plasticine qui s'étend à force de se faire écraser et où un théâtre peut disparaître dans l'ombre très facilement. De toutes façons, le salvateur réchauffement de la planète ne transformera-t-il pas bientôt notre politique intérieure en joyeuse partie de plage ? Et nos amis du nord n'échangeront-ils pas, dans un futur proche, leurs raclements de gorge contre les glouglous sereins du mérou ordinaire ou de la méduse ventriloque ?

Je ne vais pas non plus m'énerver contre ces stars de la pop qui, depuis bientôt deux mille ans, nous déclinent leurs vieilles rengaines dans des arrangements qui m'agacent : les radio crochets des nouveaux croisés finissent par mériter un uppercut.

Je ne gloserai pas davantage sur les certitudes qui vacillent pour quelques imbéciles malheureux, confits dans leur bêtise comme un marron dans le cul d'une dinde, du côté de la Noël : de valeureux canulardeux ont trouvé une très jolie manière de se foutre de ce petit monde-là. Tout comme ces employés de Wal-Mart qui remerciaient ainsi leur pauvre direction, contrainte de les licencier pour préserver les économies des rentiers, imbéciles susnommés, qui devaient soigner leur panari ou leur arthrite du genou.

Enfin, j'aurais pu parler de tout cela mais je sors ce soir.






mardi, mai 08, 2007

Théorie du bordel ambiant


Bon, Ubu doit sortir de son île et surfer sur les vagues virtuelles de ses désenchantements misanthropes. Il doit lâcher son trapèze et plonger dans l'insondable connerie qui, nous n'en doutons pas, fera l'objet elle aussi d'un sondage : les prises de température rectale ne sont-elles pas recommandées pour les sociétés malades qui tortillent leurs piteux appas en un festin sinistre ?

Donc, Ubu adoptera une attitude positive, comme certains commerciaux mal recyclés dans la vente des idées mortes et des candidats à tout crin. Bref, en une danse du ventre qui mettra en péril l'équilibre instable d'une assiette où, par bonheur, ne traînent que de timides restes, il se dressera bien droit et emmerdeur jusqu'au bout des ongles, juste avant une sieste réparatrice qui précèdera la cérémonie solennelle du coucher. Si je résume la phrase précédente, qui se voulait brève mais n'y parvint pas, tant je fus saisi par le lyrisme du néant ou par quelques gratouillis que je dus réfréner dont l'ardeur ne peut être exprimée pudiquement dans ce texte - et puis, au fond, je me gratte où et quand je veux, c'est moi que cela démange - , je n'irai pas par quatre chemins mais par un cinquième qui nous rallongera encore cette phrase qui, avouez-le, commence à vous exaspérer, pour vous confirmerqu'Ubu ne cessera de mûrir ses réflexions pour les cueillir quand elles tomberont.

Par contre, il est peu assuré qu'il ose se résumer à cette sainte Trinité du Sujet-verbe-complément, qui l'illumine de sa clarté mais l'attriste par sa simplicité. Parce qu'entre deux mots, il faut choisir le pire, parce que la vie n'est qu'une complexité délectable, parce qu'Ubu a de l'espace pour prendre son temps - et paradoxalement le vôtre -, l'aventure continue.

Vers l'infini et au-delà.






Les honnêtes gens...

Avec la campagne électorale, j'ai pu voir refleurir ces avis confondants de ceux qui se prévalent des honnêtes gens. Ah, l'honnêteté ! Quelle splendide candeur que celle de ces bourgeois de peu, qui se rappellent des siècles passés, de crainte de tomber dans l'euphémisme de la classe moyenne.

Les honnêtes gens ont peur de leur ombre, les honnêtes gens plébiscitent la sécurité et préparent les dictatures morales : mais les honnêtes gens n'éprouvent plus de complexe à affirmer tout haut leurs rancoeurs exprimées, d'habitude, sous la couette salvatrice de leurs journées épuisantes, après l'extinction de cette superbe télévision qui renforce leur honnêteté en leur vidant les restes de cervelle.

Sans vouloir paraphraser Orson Welles, qui rappelait que l'Italie, en trente ans de règne des Borgia, avait consacré la Renaissance italienne, tandis que la Suisse avait produit, en cinq siècles d'honnêteté paisible, le coucou, j'avouerai à mes chers lecteurs, que je suppose aussi malhonnêtes que moi, que l'honnêteté m'emmerde.

Je ne vois, en cette honnêteté-là, qu'un affadissement du sens de l'honneur, qu'un abêtissement commun de la parole donnée. Même le grand siècle, qui favorisa l'idée de l'honnête homme, la traduction de l'idéal féodal dans une société policée, n'avait osé aller si loin. L'honnête homme, sous Louis XIV, était un bon courtisan mais avait au moins le bon goût de ne pas se poser en victime. Nos honnêtes gens ne sont, par comparaison, que des pitres douteux, marionnettes tendues par les filets de leur sainte trouille, à la recherche de tous les courants conservateurs qui les prémuniront de la couperose en particulier et de l'avenir en général. Ces honnêtes gens que le politiquement correct révulse (moi aussi, mais pour d'autres raisons, je ne vais tout de même pas m'injurier moi-même), revendiquent la possibilité d'être cons en permanence et douillettement : comme si affirmer leur bêtise les vaccinait de leur prochaine disparition.

Il faut les prémunir de leurs craintes illusoires, les rassurer face à ces invasions de leurs phantasmes, les couvrir de moralité et d'honneurs puisqu'ils sont la France d'en bas, les vraies personnes avec des vrais problèmes, dont les candidats sont beaucoup plus soucieux que les responsables politiques. En fait, ces honnêtes gens tonitruent pour que leurs peurs très communes soient partagées à force de sondages, pour que leur confort ne soit pas saccagé par quelque sauvageon pas encore apprivoisé, pour que les choses ne changent pas.

Pourquoi râlerais-je donc contre cette honnêteté dévoyée ? Au fond, j'aime la morale davantage que la moralité, puisque je préfère à l'illusion du confort les réalités de l'audace, parce que je ne puis croire en l'émancipation du boutiquier, la nouvelle appellation de la domesticité de l'Ancien Régime, parce que je me sentirais mourir si je me me lovais dans les chaussons de l'honnêteté et parce que je ne vois guère de distance entre les appétences des honnêtes gens et celles des voyous communs.

Ma misanthropie naturelle se radicalise parfois au spectacle de la connerie ordinaire : celle-ci se vêt de tous les oripeaux, de ces hardes du bon sens qui se replie sur lui-même, comme s'il fallait se coucher pour une longue et lente agonie, alors que je préfère me coucher en galante compagnie. Je n'aime pas cette bêtise effarouchée de la moindre audace : elle exaspère mon peu de patience.

Je suis et reste partisan de la bêtise extraordinaire, de celle qui s'étonne de ses propres pirouettes. Je préfère mon idiotie, parfois idéaliste, à l'honnêteté : la première, au moins, ne se cantonne pas dans ces concessions qui fleurissent dans les cimetières.




mardi, mai 01, 2007

Battle royal...


Oui, je sais, je vais encore vous gonfler avec les élections : mais comme une prédisposition naturelle et une inclination non moins irrépressible me poussent à tous les plaisirs, dont ceux de la table, il n'y a aucune raison que je sois le seul, sur ce blog, à privilégier les courbes dans un mouvement où la générosité n'exclut pas les rondeurs.

En fait, ami français (ce qui signifie que si tu es belge, ami lecteur, tu devras revenir début juin : par contre, si tu es suédoise ou tahitienne, tu passes quand tu veux, amie lectrice), c'est un choix superbe qui t'est donné pour ce dimanche. Entre le Petit Nicolas, qui semble n'avoir pas grandi du tout, et la mère de famille poitevine, convaincante comme un chabichou, il y a cette marge que la publicité comparative nous interdit de réduire à sa plus fine substance. Et l'on se prend à rêver, dans un frisson, que les deux rivaux s'épousent et nous fassent de beaux enfants et de prochaines élections.

Evoquons leurs soutiens : Sarko peut compter sur les has been, qu'ils le soient déjà ou bientôt, ce qui nous permet d'envisager une culture à hauteur de TF1, où la berlusconnerie tient lieu de réflexion ; par contre, Ségolène peut se targuer de compter, parmi ses suffragettes, Geneviève de Fontenay et Philippe Sollers, deux défenseurs de l'élégance féminine. La Marseillaise officielle sera-t-elle adaptée par Doc Gynéco ou par Diam's ? Laurent Ruquier invitera-t-il un jour Christian Clavier ? Un vertige me saisit : pour qui auraient voté Saturnin, Colargol et Pollux ? J'exclus volontairement Casimir, puisqu'il est déjà premier ministrable en Ubuland : et puis les monstres gentils ne se commettent pas en politique, eux...

Parlons maintenant de leurs attitudes respectives, si pas respectueuses. Sarko joue les divettes et perd le contrôle de ses nerfs ; Ségo s'aventure sur les sommets de la bourde avec un sens de la fadeur tellement inné que l'on se prend à sommeiller entre deux mots. Les deux se comportent en vainqueurs, alors même que leur rêve se situe à hauteur de chaise : leur point de vue éthéré se résume en un trône, leur morale en reste aux cabinets. Tous deux furent ministres. Qu'il me soit permis - et d'ailleurs je ne vois pas qui pourrait me l'interdire - de m'abstenir d'évoquer leurs bilans politiques. D'autres le firent mieux que moi, y compris les susnommés. Je signale d'ailleurs aux lecteurs militants de base que le précédent qualificatif n'induit aucunement de quelconques relations entre les susdits. Et ce dernier mot non plus.

Bref, vous remarquerez qu'il est possible de parler d'une campagne électorale sans jamais se placer d'un point de vue politique. Les candidats sont devenus des icônes un peu douteuses soldées par leurs communicants, au gré des inventaires de citations et des allusions référentielles. Puisque leurs promesses ne sont que pure fiction, puisque nos horizons sont chimériques, puisque nous ne pouvons douter de la réalité virtuelle des potentiels de nos deux candidats (enfin, pas si nos que cela !), puisqu'il est devenu si commode d'en référer à l'homme de la rue pour se confire dans l'absence de perspective, je propose que ce soient les Belges et les Papous qui votent cette fois. Que des électeurs qui s'en foutent élisent enfin des candidats qui s'en contrefoutent, sauf du mois de mai.

Et puis, il vous restera toujours la possibilité de demander l'asile virtuel en Ubuland.

Mise à jour : le bureau des passeports est ouvert.

vendredi, avril 20, 2007

Ma résistible ascension.

Je ne vous l'avais pas précisé mais j'étais candidat à la présidence de la République française. Un sinistre complot de la presse internationale vous avait privé de cette information, à l'exception notable de Marie-Claire, Nous Deux, Jeune et jolie et l'Echo des étangs de Ponchon, les seuls journaux véritablement indépendants de notre presse, les sphères de liberté de notre bulle médiatique.

Entre deux articles sur l'arthrose du genou, les maquillages gothiques , les tendances Damart de l'été ou les heures d'ouverture de l'auberge des Trois Oies, dont le nom provient d'une légende locale bien connue et qui n'a cessé de frapper les esprits depuis lors mais je m'égare peut-être, mon programme serait presque resté inaperçu : pourtant, mon meeting de Ronchin et mon appel solennel de Troyes dans l'Aube furent entendus. Je suis élu.

Mon programme consistera à demander un rattachement de la France éternelle, de la France humiliée mais de la France libérée par le Mouvement Progressiste des Conservateurs de Gauche à Droite soit à la Présipauté du Groland, que sa politique diplomatique place parmi les têtes de pont prestigieuse de l'Europe aux côtés du Lichtenstein et d'Andorre, soit au royaume de Wallonie dont le redressement économique a même époustouflé Monaco et Singapour.

Voici venu le temps des rires et des chants : en Ubuland, ce sera tous les jours le printemps.

Raison et sentiment ?


Je ne vais pas vous faire le coup de gloser aimablement sur les affres du coeur des jeunes bourgeois anglais du temps de Jane Austen. Je ne vais même pas vous asséner le rappel des épisodes de l'histoire artistique où l'idée de raison domina la passion : au fond, c'est fou le nombre de choses que j'ai pris l'habitude de ne pas faire...

Et pourtant, pour le simple quidam que je suis, l'appel aux émotions ou à la raison me laisse souvent perplexe. Oh, je ne parle pas de mes émotions intimes, que je ne vous raconterai pas, de crainte d'être assimilé à d'autres sites interdits aux mineurs : et puis, n'est-ce pas le printemps pour tout le monde ? Non, je songerais plutôt à la perte de substance que subissent la raison et les passions lorsqu'elles sont galvaudées au gré des discours officiels et, de fait, des impressions particulières.

Quand nous contraint-on à faire appel à la raison ? Lorsqu'il faut nous soumettre à une situation qui nous serait livrée, clés en main, comme un pavillon de banlieue standardisé ou une chalandonnette en série : le gros défaut de ces aimables architectures, en apparence confortable, réside dans leurs défauts qui en rendent l'occupation particulièrement nourrie en surprises diverses et variées. La raison politique nous ménage des effets similaires et le discours gestionnaire, qui a remplacé les idéologies, se nourrit de ses propres aberrations. A la veille de sa défaite en 2002, le très solennel (et mauvais perdant) Lionel Jospin, à propos des licenciements massifs dans le groupe Michelin, osa affirmer que lui, politique, n'avait aucun pouvoir sur l'économie de son pays. Quel sens des responsabilités politiques, quel talent de gestionnaire, quel beauté classique du héros antique qui, tel Sisyphe, nous affirmait autant son travail que l'inutilité de celui-ci ! En grand pédagogue, il nous rappelait que les politiques ne sont ni incompétents ni bons à tuer : ils sont entre les deux. Tout politicien affirme ses positions en fonction de chiffres, de statistiques, d'indicateurs de tendance, d'échos du pays réel, une sorte de florilège moderne des pensées creuses, mais rassurantes puisque rationnelles, de Joseph Prudhomme. Et c'est avec ce bon sens, très commun, qu'il doit nous convaincre de ses qualités de candidat au pouvoir, auquel l'électeur, dans un élan dont le rationalisme m'émeut - je ne vous dis même pas à quel point depuis la parité - doit l'envoyer avec des félicitations qui ne doivent qu'à la lucidité froide et équilibrée d'une raison au pinacle, donc immobile.

Après le temps de la raison, qui justifie toutes les inerties, vient le temps des sentiments : le candidat regarde la France, la Creuse, la Wallonie, l'arrondissement de Seveso-les-Berdouilles ou la circonscription de Trifouillis-les-Oies (biffer les mentions inutiles) les yeux dans les yeux. Ils communient dans les mêmes peurs et dans les mêmes rêves : et le spectateur de se sentir submergé par de vraies larmes, comme lorsqu'un notoire quelconque vient nous faire partager les désagréables sensations que lui procurent un furoncle mal placé ou des hémorroïdes particulièrement malveillantes. Notre candidat se lance ainsi à l'assaut de l'insécurité, au moyen d'un quelconque fait divers polymédiatisé tandis que d'autres faits, qui relèveraient de sa compétence sont prudemment circonscrits, ou entonne son chant de l'espoir en une reprise qui, de toutes façons, laissera sur le carreau certaines catégories de citoyens (la pudeur l'empêche de les nommer "électeurs", déclaration d'amour qui ne s'exhibe pas mais se sous-entend) lorsque sa raison aura repris le dessus, immédiatement après la formation de l'instance exécutive tant attendue, en tout cas par lui.

L'électeur mérite-t-il vraiment de telles danses cadencées, où le pas martial de l'oie gavée succède aux pirouettes opportunistes d'une valse, suivie bientôt d'une joyeuse farandole et de mon plus que probable lumbago ? Au fond, pourquoi pas ? Celui qui se méfie de la politique, au nom de sa raison ou de ses sentiments, se précipite vers de quelconques boutiquiers qui lui assènent leurs idéaux de bonheur formaté : entre croissance et consumérisme, avec les nécessités très logiques de l'ordre, pour que le système ne se casse pas la figure comme le passant imprudent qui se laissait distraire par une physionomie agréable, quoique manifestement de sexe opposé (enfin, là, je parle pour moi !). Ensuite, le citoyen "responsable", le consommateur méritant s'acquittent de leurs frustrations et leur trouvent des raisons. Et les uns de râler contre l'excès d'impôts, qui nuit à leur confort et leur donne l'impression de vivre dans un pays communiste lorsqu'ils s'acquittent de leur télé redevance ; les autres de s'emporter contre les "invasions barbares" qui nuisent aux peurs qu'ils pourraient secréter d'eux-mêmes, en pure autarcie ou en consanguinité bien comprise ; et tous de réclamer un camouflage des misères trop voyantes pour préserver leur illusion d'immunité et d'accuser les thermomètres de pointer leurs propres fièvres...

En fait, ni la raison ni les sentiments ne peuvent traduire nos mentalités : nous rêvons d'épure, comme si l'utopie se dessinait sous nos yeux, alors même qu'elle nous échappe chaque jour au gré de nos propres rancoeurs, fruits des frustrations que nous n'osons nous avouer. Notre exaltation des sentiments nous pousse au pathétique, même dans la recherche du plaisir ; notre envie de raison nous inscrit dans toutes les compromissions, jusqu'à mécaniser notre obéissance. Et nous poursuivons sans cesse ce rêve d'être ce que nous ne serons jamais dans un endroit qui n'existera pas : même l'ivresse de notre inconstance ne nous permet pas de l'oublier, fût-elle revêtue des hardes de la raison ou des guenilles du sentiment.


jeudi, avril 12, 2007

Deux personnages en quête d'auteur ?

Ces vacances se passent plutôt bien : le printemps sourit, le soleil brille, les jours s'allongent tandis que les jupes raccourcissent, selon un paradoxe bien connu. Et puis, les mauvaises nouvelles prennent une certaine distance quand on prend le temps d'avoir le temps.

Pourtant, deux personnages ont perdu leur auteur durant ces deux dernières semaines : l'inspecteur Ali et Kilgore Trout. Driss Chraïbi, le créateur du premier, est mort le premier avril : un drôle de poisson pour un écrivain capable de manipuler l'humour à travers les aventures de son personnage fétiche. Kurt Vonnegut est mort ce mardi, ou peut-être mercredi, ce qui dénote une certaine indécision qui lui était coutumière. Par contre, Pascal Sevran et Christine Angot sont toujours vivants : il est vrai que la face de la littérature ne serait pas vraiment modifiée par la disparition de ces écrivaillons médiocres qui accommodent les restes de leur vie insignifiante en autant de réflexions censées animer les soubresauts des hospices gériatriques ou des bistrots pour bobos quadragénaires. Et le pire, c'est qu'ils ne le sont même pas, les pires : ils sont juste un peu plus médiatisés que la moyenne parce que leurs interviews sont vendeuses. Et l'animateur invertébré de télévision d'exposer ses pensées en toc face à l'écrivaine animée de tous ses tics : s'affirmer ne veut pas dire réfléchir...

Avec Chraïbi et Vonnegut, ce sont deux défenseurs d'une autre conception de la littérature qui disparaissent : dans leurs oeuvres, ils s'étaient créé un alter ego avec qui ils entamaient une conversation. Ils construisaient une relation textuelle, porteuse d'autant plus d'émotions qu'elles s'affinaient entre sentiments et intelligence. Chraïbi envoyait son inspecteur aux confluents de ses errances et le transformait en point de jonction : de ses cultures conflictuelles, des relations équivoques d'un auteur avec son personnage, d'un passé lourd de souvenirs et d'un présent qui pardonne sans oublier. Vonnegut, lui, envoyait son écrivain raté sur les routes de tous les possibles : il y exprimait une satire du cauchemar, entre Dresde et les territoires rêvés de la science-fiction. Au fond, ils se livraient bien davantage que dans des autobiographies de circonstance, crapoteuses versions longues des articles de la presse de caniveau, ou dans des journaux qui visent Léautaud mais tapent lamentablement à côté.

La disparition de Chraïbi et de Vonnegut nous ferme un monde, là où d'autres nous auraient simplement débarrassé l'horizon : certaines absences brillent.