jeudi, mars 19, 2015

A propos de citoyenneté ?

J'ai de la chance : je n'ai jamais dû m'aventurer professionnellement dans le maquis des cours philosophiques. J'ai donc pu garder pour moi mes doutes ontologiques, entre agnosticisme et athéisme, qui finalement ont pu se résumer en foutisme actif, une variante du zutisme littéraire et une dissidence du pastafarisme teintée de zététique. Je précise au lecteur inattentif de ce blog que je n'inscris personne dans mon sous-courant : vous y allez si vous le désirez mais, personnellement, je me fous des adhésions. Bref, j'ai horreur des doctrines, quoique le groucho-marxisme me tente parfois. J'adore râler et critiquer : je suis un emmerdeur. Je ne puis, par conséquent, que garder une extrême réserve face à la création d'un cours d'éducation à la citoyenneté. 

J'y reconnais ce vieil ennemi, l'éducation, qui me semble phagocyter l'enseignement à outrance. Je persiste à refuser la notion d'éducation même, tant elle me paraît relever strictement de la sphère familiale et de l'autonomie de pensée : ce glissement vers l'éducation me semble conforme à la pédagogogie des compétences, supposée se centrer sur l'élève, à la manière du fumeux développement personnel qui n'est, de fait, qu'une nouvelle manière de manipuler le travailleur afin de le rendre heureux de sa servitude. En gros, le jargon éducationnel ressasse ses oukases en utilisant les stratégies publicitaires et propagandistes, créant l'illusion du choix là où il incrimine la distance critique et l'autonomie de pensée : et l'école de se muer en hypermarché avec ses têtes de gondole, ses rayons soigneusement alignés et ses parcours implicitement orientés. De nombreux écrivains ont montré très concrètement leur méfiance de l'éducation, allant jusqu'à la considérer comme Vallès, par exemple, en tant que substitut déguisé du patriarcat. Il est également difficile de croire au stéréotype d'une éducation démocratique dont le plan architectural de l'époque reste ancré dans le panoptique
Et la citoyenneté dans tout cela ? Sa résurgence semble associée aux phénomènes de crises dans l'histoire des démocraties. Le civisme revanchard d'après la défaite de 1870 a donné lieu à des monstres scolaires, tant la sujétion de l'école au nationalisme de l'Etat se devait d'être implacable, ce qui rend davantage perplexe face à l'appellation de "hussards noirs de la République" lors du combat pour la laïcité de l'Etat : trop de majuscules, trop de chapelles en conflit. Que dire de l'édification de ce cours sur la citoyenneté contemporaine ? Sera-t-il critique dans un enseignement soumis à l'indicateur Pisa, inspiré par les attentes du FMI ? Pourra-t-il aborder les subversifs autrement qu'en les considérant comme des aberrations de la norme ? Ne consistera-t-il finalement, ce cours, qu'en une aimable accoutumance au conformisme camouflée sous une apparente liberté ? Cela ressemble à s'y méprendre aux stratégies totalitaires : prétendre nous protéger des circonstances érigées par le régime en place pour renforcer ledit régime. Il serait temps que l'école puisse s'extirper de ce credo de l'obéissance nécessaire, puisque la nécessité est factice. 
Nous attendons depuis des années un cours de critique des médias : hormis quelques initiatives ponctuelles, il se fait toujours attendre. Pour confirmer la liberté de la presse et la liberté d'opinion, nos démocraties créent de nouvelles législations et, donc, de nouvelles infractions, ce qui reste un moyen bien commode de renier leur responsabilité première dans l'émergence des radicalismes. Il serait ainsi très intéressant de constater la banalisation du discours extrémiste, pensé pour la brièveté et le simplisme, et donc pleinement compatible avec les médias anciens ou modernes. De même, une critique des médias ne pourrait manquer d'analyser avec scepticisme la communication institutionnelle, publique ou privée, afin de mettre en exergue son inconsistance, ses prétextes et ses objectifs démagogiques. 
Nous pouvons lire des cartes blanches ici ou sur les cours philosophiques : le sujet est d'actualité et l'actualité est un excellent prétexte pour prétendre à la pensée sous les oripeaux du prêt-à-penser, cette nouvelle doctrine. Les intervenants se discréditent généralement en confondant leurs enjeux opératoires, qu'ils revendiquent au détriment de leur impact réel et de leur dérive inévitable : ils persistent à identifier leur action comme exclusivement déterminante alors qu'elle ne resterait que circonstancielle, puisque tributaire d'un contexte qui les dépasse, et encadrée, puisque décidée par le monde politique. Leur idéalisme, empreint d'ailleurs d'une certaine radicalité, prétend au conflit de principes et même à la qualité de leur remède : la foire aux bonimenteurs est ouverte... comme ne l'avait pas dit Malraux. 
Je n'ai pas de solution. Je rêve parfois que l'élève auquel j'enseigne ne se retrouve pas résumé à des compétences ou à des évaluations, ce à quoi il finit par s'identifier. Je rêve souvent que le taux de chômage ou l'austérité budgétaire ne soient plus les indicateurs essentiels du degré de culpabilité d'une société. Je rêve toujours d'une société où les individus puissent juger en toute autonomie et agir en conséquence. Et puis, je me réveille dans un contexte de crise sécuritaire où les institutions prétendent nous protéger de ce qu'elles-mêmes ont engendré. J'ai alors envie de me recoucher...

Voltaire, dans un texte ironique sur la lecture, évoquait la possibilité absurde d'une idée amenée pieds et poings liés devant le pouvoir officiel : nos sociétés démocratiques réalisent cette aberration jour après jour. 


Note : illustrations de Babouse et de Pétillon. 



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